Viviane Reichert nous partage son expérience.
Viviane est actuellement présidente de HF (Hermes France logistique), Holding en France avec la responsabilité de sa filiale AGEDISS et elle est également membre du directoire de Hermes Einrichtungs Service. Ces deux sociétés, HFH et HES, font partie du groupe allemand Otto. Otto est un groupe international de commerce électronique et de services axé sur l’innovation et la transformation numérique, son chiffre d’affaires annuel en 2022/23 a été de 16 milliards d’euros.
Dans son parcours précédent, Viviane a acquis une expérience de 35 ans à l’international et dans des CoDir (Paris, Londres, New York, Amsterdam, Zurich, Lille, Löhne). Avec son interculturalité, elle pose un regard distancié sur nos pratiques managériales françaises. Le propos n’est pas de mettre les dirigeants français dans une case et les dirigeants allemands ou néerlandais dans d’autres cases, mais plutôt d’enrichir nos réflexions à l’aide d’une grille de lecture de situations concrètes vécues par une dirigeante ayant évolué dans ces différents environnements.
Ce qui nous a notamment frappé dans ce témoignage, c’est la conviction très forte parmi les dirigeants du groupe Otto, que leur mission essentielle, c’est de « s’occuper des gens ». C’est-à-dire de prendre soin de les informer, de les amener à donner leur avis, leurs idées et de s’enquérir continuellement de leurs attentes. C’est non seulement leur conviction, mais surtout leur pratique !
Chez Enaxion, nous accompagnons la montée en puissance et en responsabilité des dirigeants et de leurs équipes. Nous avons la conviction que la meilleure façon d’imaginer l’avenir dans un monde complexe est de le construire collectivement avec les équipes. Beaucoup de dirigeants partagent cette conviction tout en ne sachant pas toujours comment la mettre en œuvre.
« L’arrivée de nouvelles générations va pousser dans le sens d’une évolution de la culture des entreprises française vers de nouvelles façons d’envisager le travail ».
Viviane, qu’est-ce qui te vient à l’esprit quand tu penses à ton vécu d’une direction à l’allemande et d’une direction à la française ?
« La première chose qui me vient immédiatement à l’esprit c’est qu’en France, il y a une personne en charge, une personne à la tête, qui a été choisie grâce à son cursus académique et elle a le pouvoir de décision. En Allemagne, il y a un partage de la gouvernance, 2 ou 3 personnes partagent le leadership, discutent des grands thèmes et prennent les décisions ensemble après avoir examiné toutes les perspectives. En Hollande, c’est le « Polder Model », et je l’ai vraiment vu fonctionner comme tel, c’est-à-dire que tout le monde, du haut jusqu’en bas de la hiérarchie peut discuter des sujets, y compris des sujets ayant trait à la stratégie !
La prise de décision, c’est une chose, mais ce qui importe c’est la mise en œuvre ! et ce que j’ai observé, au fil de mon parcours, c’est que le plus important, finalement, c’est d’embarquer les gens !
Dans notre groupe en Allemagne, il y a eu un moment décisif en 2015 : nous vivions alors une période de crise, et classiquement, nous avons fait un diagnostic sur la base des indicateurs financiers, mis en place des actions correctrices, et constaté un faible impact de ces actions sur les résultats. Nous avons alors décidé de nous focaliser sur le « facteur humain » : on a constitué des groupes sur le terrain, on leur a demandé ce qui leur plaisait dans leur travail, comment ils voulaient travailler etc… Et là, nous avons constaté un impact sur l’accroissement de la performance ! Aujourd’hui, cette façon de travailler est devenue culturelle chez nous, par exemple, les sujets de stratégie sont travaillés de façon collective, en constituant là aussi des groupes, sur la base du volontariat, groupes qui s’autoorganisent, et prennent la responsabilité de faire avancer leur sujet. Ils ont un « parrain » ou un « sponsor » vers lequel ils peuvent se tourner s’ils rencontrent une difficulté, ont besoin de soutien …
Aujourd’hui, notre conviction, et notre pratique, c’est que pour améliorer le résultat financier, tout tourne autour du facteur humain et que le rôle primordial d’un leader, c’est de s’occuper du travail de ses équipes.»
Merci Viviane pour ce témoignage qui nous propulse au cœur du fonctionnement d’une entreprise allemande ! et alors, qu’est-ce que tu observes sur cette question dans les entreprises françaises ?
« En France, la culture est différente et cela dès l’école ! j’ai pu l’observer avec mes enfants scolarisés en France : à l’école française, le professeur, c’est Dieu ! On ne remet pas en cause sa parole ! on aboutit à la fin du cursus des élites dans le système éducatif français à mettre en place des dirigeants dans les entreprises qui sont très brillants intellectuellement, mais qui n’ont pas cultivé leur côté « qu’est-ce que je fais pour toucher les gens, comment je suis authentique dans mes relations avec eux, comment je montre mes faiblesses, le fait que je n’ai pas de réponse à toutes les questions, … »
Et comment perçois-tu l’impact de l’arrivée de nouvelles générations dans les entreprises ?
« Je pense que justement cette arrivée va pousser dans le sens d’une évolution de la culture des entreprises française vers ces nouvelles façons d’envisager le travail : du sens dans le travail, une liberté d’organisation, une prise de responsabilité, un équilibre vie professionnelle/vie privée. Ces tendances sont connues, médiatisées et je les observe dans la réalité. Voyons-les comme une chance de faire de l’entreprise un lieu d’efficacité et d’épanouissement ayant comme résultante des résultats économiques meilleurs. »
Il faut du courage au chef pour entendre des critiques et oser dire
« ce n’est pas moi qui vais prendre la décision, c’est vous. »
Si nous revenons, Viviane, sur ton vécu de ce Kultur Wandel (changement culturel) que vous avez initié dans votre groupe autour de cette question « s’occuper du travail des gens », que peux-tu nous donner comme illustrations concrètes ou pratiques-clé que vous avez mises en place ?
« Effectivement, notre rôle, c’est de diriger l’humain, c’est de donner à chacun la possibilité de s’exprimer, et c’est d’organiser cela.
Par exemple, quand on doit définir la stratégie du groupe, on met en place un processus collaboratif qui va impliquer un nombre significatif de personnes, on s’adjoint les services de modérateurs externes pour animer ce processus, de sorte que tous, membres de la DG, Codir et autres collaborateurs, soyons tous focalisés sur le contenu, dans une posture de parité.
Et on accepte que le processus prenne un peu de temps, certainement plus que si on avait élaboré uniquement au niveau de la DG !
Notre rôle, c’est aussi d’emmener toute l’entreprise, nous sommes donc très présents dans la communication directe et interactive aux collaborateurs, et ceci de façon fréquente : tous les 2 mois environ, nous sommes au contact de l’ensemble des collaborateurs. Et nous allons chercher leur feedback très fréquemment aussi, environ tous les mois à travers des enquêtes dans lesquelles on va leur demander : comment vous-vous sentez en ce moment ? comment vous-vous sentez informés par la Direction ? comment vous arrivez à prioriser vos tâches ?
Nous récoltons beaucoup d’inputs intéressants grâce à ces enquêtes et certains points-clé sont ensuite évoqués lors des réunions d’information successives.
Un autre point que je souhaite souligner est celui du nécessaire apprentissage que tout ceci suppose. En effet, il faut du courage pour mettre à l’agenda des sujets difficiles, il faut aussi du courage pour oser dire son opinion au chef et enfin, il faut du courage au chef pour entendre des critiques et oser dire « ce n’est pas moi qui vais prendre la décision, c’est vous ». Acquérir ces postures, cette confiance est un apprentissage de tous. C’est notre rôle de l’initier et de le faire vivre ».
Viviane, une question personnelle si tu permets, de quoi es-tu fière aujourd’hui ?
« Je suis fière de permettre aux jeunes de réussir ! les mettre sur des rails, transmettre mon expérience.
Les jeunes que je côtoie aujourd’hui sont super éduqués, je leur dis « si tu as envie, tu peux réussir ! »
Quel message pourrais-tu passer à une jeune Viviane qui débuterait aujourd’hui ?
« Prend des risques, quand tu sens que tu maîtrises ce que tu fais, pense au coup suivant
Etablis ton réseau dès maintenant, en interne dans l’entreprise et en externe. Et à l’international si tu en as envie
Engage-toi
Et prend soin des personnes qui travaillent avec toi
Un grand merci à toi Viviane pour ce témoignage qui vient du cœur !
« Merci de m’avoir écoutée, j’ai le meilleur job du monde ! »
Viviane REICHERT
, , Groupe Otto