Dans le cadre de son expertise sur la mise en place de gouvernance d'entreprise, Enaxion vous fait découvrir le point de vue de Didier Suberbielle – Manager, entrepreneur et investisseur et membre de plusieurs boards- sur l'intérêt d'un board pour la gouvernance des PME.
Spécialiste reconnu des produits de grande consommation premium, Didier Suberbielle a construit une carrière à la croisée de l’engagement stratégique, de l’innovation de marque et de la gouvernance d’entreprise. Diplômé d’HEC (1984), il a été successivement CEO de Champagnes Pommery, de Condé Nast France, puis de Nutrition & Santé, acteur majeur de la nutrition santé en Europe. Il est également cofondateur de la chaîne Parashop.
Aujourd’hui, il dirige DS Participations et accompagne plusieurs entreprises à fort impact en tant qu’administrateur (Il est notamment membre du Board d'ECOCERT).
Didier Suberbielle, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis entrepreneur, investisseur et administrateur d’entreprises. Je siège dans des conseils d’administration de sociétés allant de 1 million à 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, principalement dans l’agroalimentaire. Mon expérience couvre des entreprises à actionnariat très varié, et j’interviens en tant qu’administrateur, le plus souvent président indépendant, dans des contextes stratégiques tels que les levées de fonds, acquisitions ou conflits actionnariaux.
Pourquoi une PME devrait-elle selon vous toujours constituer un Board ?
Même dans les entreprises familiales ou à actionnariat concentré, un Board est extrêmement utile. Il structure la gouvernance, apporte du recul, et aide à poser les bonnes questions au bon moment. Ce n’est pas un luxe réservé aux grandes structures : une PME en tire un bénéfice stratégique évident.
Quel est le rôle d’un président de Board, en particulier lorsqu’il est indépendant ?
Le président agit comme facilitateur. Il n’arbitre pas, mais crée les conditions du consensus, notamment lors d’étapes critiques comme une levée de fonds ou une acquisition. Son indépendance garantit une écoute équilibrée des parties prenantes, en particulier, lorsque l’actionnariat est éclaté. Lorsqu’il y a un actionnaire majoritaire et des minoritaires, c’est rassurant pour les minoritaires de savoir qu’il y a quelqu’un qui est à la tête du Board et qui peut utiliser cette position un peu symbolique pour trouver des consensus sur les points d’achoppement. Autre exemple : en cas de levée, c’est le président du Board qui va représenter l’entreprise auprès des futurs financeurs. Parce que très souvent, le management n’est pas forcément celui qui représente vraiment les actionnaires. Il va représenter les actionnaires vers le bas, mais pas vraiment vers le haut. Quand il s’agit de simuler les équilibres actionnariaux post-levée et de discuter d’un pacte d’actionnaires, par exemple. Tout ça, ce n’est pas le DG qui va le faire. C’est plutôt le président du Board qui va s’en occuper.
Comment un Board soutient-il concrètement la stratégie de l’entreprise ?
Il force à structurer sa réflexion : budget, plan stratégique, politique RH, croissance externe, RSE… Il impose un rythme de questionnement stratégique régulier. Il challenge le dirigeant mais dans une logique constructive. Par exemple, à une entreprise engagée dans le bio, j’ai pu challenger les achats de Bio chinois, en faisant réaliser au dirigeant le côté peu RSE et l’impact potentiel sur la réputation de l’entreprise.
Est-ce un espace de critique ou de soutien ?
Les deux, avec une critique au sens positif du terme. Le Board est un regard extérieur exigeant et bienveillant. Il ne cherche pas à plaire, mais à faire progresser. C’est un espace de dialogue, d’idées, de créativité. Un bon Board agit comme un conseil stratégique à coût maîtrisé.
Quel est le coût d’un Board ?
S’il est composé d’actionnaires, il est souvent bénévole. Sinon, les rémunérations restent modérées : l’équivalent d’une journée de consultant. En échange, les membres trouvent de l’intérêt, de la stimulation intellectuelle, un réseau, et un enrichissement mutuel dans la durée.
Quelle est la composition idéale d’un Board ?
Entre 4 et 7 membres. Il faut rechercher une diversité de profils, d’âges, de parcours, c’est encore difficile, notamment pour la parité. Des initiatives comme « Her Value » aident à former et faire émerger des femmes administratrices. Il est aussi utile d’intégrer de jeunes talents issus du digital. Cela dit, la part de têtes grises doit rester conséquente, car c’est la garantie d’une certaine expérience.
Quel intérêt pour un cadre ou un dirigeant de rejoindre un Board ?
C’est une formation exceptionnelle. On touche à tous les sujets, on sort de son silo. Cela développe une vision globale de l’entreprise. Et pour les plus jeunes, c’est aussi un levier de légitimité professionnelle et de réseau
Comment fonctionne un Board au quotidien ?
Il se réunit 3 à 4 fois par an, idéalement en présentiel. Une réunion dure une demi-journée à une journée. L’agenda est préparé par le CEO et le président, mais les membres peuvent aussi proposer des points. C’est un moment de recul, où l’on prend le temps de penser.
Le Board intervient-il sur la rémunération du dirigeant ?
Oui, via un comité restreint. Cela permet d’objectiver les décisions, d’éviter les biais émotionnels. Pour le reste de l’équipe, le dirigeant propose, le comité discute, et le Board valide. Cela donne de la force au CEO, en particulier lorsque celui-ci doit porter des décisions tranchées ou difficiles.
Peut-il aussi intervenir dans le recrutement ?
Absolument. Les membres du Board sont souvent sollicités dans les phases de recrutement, notamment pour des postes clés comme le CEO. Leur expérience et leur réseau apportent une vraie valeur ajoutée pour ces choix critiques.
Quelles sont les réticences à créer un Board ?
C’est surtout une question de méconnaissance. Beaucoup de dirigeants ne savent pas ce que cela peut leur apporter. Ils craignent une perte d’autonomie, alors que c’est tout le contraire : un bon Board vous renforce.
Avez-vous un exemple personnel de cette dynamique ?
Oui. Quand j’étais jeune CEO, je vivais parfois les remarques du Board comme une remise en cause, une perte de contrôle. J’ai compris avec le temps que leurs critiques étaient une forme d’exigence bienveillante. En fait, ils m’aidaient à progresser, à voir plus loin, à grandir. Ce n’est pas une remise en cause de la légitimité du dirigeant, c’est un appui précieux.
Quelles conditions font qu’un Board fonctionne vraiment ?
Il doit être bien composé, bien animé, préparé avec rigueur. Le CEO doit jouer le jeu, écouter, ne pas le considérer comme une simple formalité. Quand le Board est perçu comme utile, il devient un levier de transformation puissant.
Je dirais que le CEO ne doit pas hésiter à « utiliser » son board.
Le Board peut en effet aider à représenter l’entreprise, à renforcer sa crédibilité auprès des différentes parties prenantes, par exemple dans le cadre des levées de fonds.
