Imaginer et de développer des usages innovants du numérique dans la métropole du Grand Lyon

Yves Armel MARTIN, Responsable Erasme Métropole de Lyon

Yves-Armel Martin, Leader d’innovation – Erasme Grand Lyon - Enaxion

La mission d’Erasme – dont Yves Armel a la responsabilité – est d’imaginer et de développer des usages innovants du numérique dans la métropole du Grand Lyon. Avec son équipe et une structure de type Laboratoire, Yves Armel se positionne comme un Do Tank : « plutôt que d’imaginer ou de réfléchir à l’avenir on le crée, nous avons une approche très terrain ». En 2016,  Erasme a travaillé sur la « gamification » des espaces publics, à travers la thématique de : « Jouer la ville ».

L’innovation est un enjeu clé pour les entreprises dans le contexte actuel d’accélération des transformations, voire de rupture dans les usages  et les business models.

Cet enjeu est d’autant plus important  qu’il concerne aujourd’hui toutes les entreprises et tous les acteurs économiques. Il ne se limite pas à quelques leaders mondiaux de la technologie et dépasse largement l’arrivée des NATU (Netflix – Airbnb – Tesla – Uber). Mettre en place une démarche d’innovation est un processus qui implique souvent de changer de paradigme, et donc de questionner les modèles établis.

Enaxion lance une série de rencontres avec des leaders qui incarnent à leur manière un domaine d’excellence.  Yves Armel Martin nous amène sur le terrain de l’innovation.

Yves Armel Martin, Leader d’Innovation

Responsable Erasme- Métropole de Lyon, Co fondateur des Museomix, Partenaire Enaxion sur des missions d’intelligence collective

L’hyper expertise

Notre culture est dominée par l’intelligence logique. Et nous sortons de plus d’un siècle de taylorisme avec un développement très fort de la productivité qui a découpé tous les process pour en faire une chaîne de montage. Les problèmes ont ainsi été découpés avec des prismes de plus en plus étroits, de plus en plus fins.

Le système de production fordien qui reste à la base de la majorité des organisations en France a conduit à l’hyper expertise et  à la rationalisation. Cela représente une limite à l’innovation. En effet ce système conduit à un certain formatage des individus et à la silotisation des organisations.

Ce formatage est présent dans l’entreprise mais aussi dans notre système éducatif On peut voir une sorte de mécanisme fordiste du parcours scolaire en France où chaque élève suit une heure de cours dans un domaine spécifique, avec un groupe d’élèves donné, et subit à la fin un examen de connaissance. Cela ressemble au cheminement d’une « pièce » passant par différents « postes et machines »  avec un passage au contrôle en fin de production. Pourquoi une heure ? Pourquoi une classe ? Pourquoi un contrôle comme élément immuable de l’apprentissage ?

Le retour au collectif et à l’expérience

Le monde est de plus en plus complexe avec un niveau inédit d’échanges et d’interaction entre des acteurs d’origine très diverses tant en termes de langage que de culture  mais aussi de génération,vieillissement oblige. Cela pousse à développer des dispositifs accessibles et compréhensibles par tous.  Et conduit aujourd’hui à un grand besoin de synthèse et d’horizontalité. Il s’agit de sortir de la verticalité qui enferme et conduit à des impasses.  Cela nécessite une multitude de compétences qui vont bien au-delà d’une seule personne et dans l’entreprise du seul dirigeant ! Travailler en essaim et développer l’intelligence collective sont désormais une nécessité.

Ce changement s’opère aussi avec un retour de la notion d’expérience. L’expérience, c’est une façon de remettre l’homme au centre et de partir de ce qui le relie fondamentalement aux autres et lui permet d’acquérir de nouveaux savoirs. « La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information » disait Albert Einstein. Tout cela conduit à sortir de ces schémas classiques de construction intellectuelle et industrielle hérités du 17ème siècle. Un programme de transformation pour les 7 à 77 ans !

Les avantages du prototypage

Oser  la mise en œuvre des idées de manière physique et tangible par le prototypage devient un vecteur clé pour réussir l’innovation. Prototyper, c’est construire ensemble une forme et des usages correspondant à des idées nouvelles, se confronter très vite au réel et mettre à contribution tous les types d’intelligence : raisonnement mais aussi intuition, vision, touché, émotion…

Réduisant le risque du dialogue de sourds ou de confusion sur les concepts, le prototypage permet à chacun et à tous d’apporter des idées concrètes et recomposables tout au long du processus d’innovation. En prototypant « on concrétise, on descend ainsi d’un voire de plusieurs crans . Prenons l’exemple d’une tablette, expliquer son principe ou décrire ses fonctions est complexe. En revanche en l’expérimentant cela devient clair, l’expérience « parle ». C’est le passage de la représentation mentale à l’expérience physique qui crée des valeurs d’usage ».

Dans ce processus, il est important de produire le premier prototype, puis  d’accepter d’en détruire la forme – ou de la faire évoluer – pour passer à autre chose. Il s’agit alors de rester sur l’usage et d’en créer une nouvelle matérialité. Ne créer que des idées entraîne souvent la déception ou des malentendus lourds de conséquence car chacun reste sur sa représentation de l’idée. A l’inverse prototyper crée un effet d’entonnoir ; cet effet est salutaire pour l’issue du processus d’innovation, sa durée et son coût. Le prototypage est source de qualité , d’intelligence collective et de créativité. Mais c’est un processus qui peut questionner les modèles au sein de l’entreprise.

Eviter les silos

Il y a de plus en plus d’initiatives autour de l’innovation, d’expériences ici ou là à travers des conférences, des « hackatons » et autres formes originales de séminaire,. C’est un bon signe mais est ce que l’innovation ne risque pas d’être cantonnée dans ces espaces en dehors du système ?

En effet, il existe un risque d’isolement ou de déconnexion des expériences innovantes. Pour le gérer  il s’agit de  travailler  les interfaces entre le projet / le groupe innovant et le « reste du monde ». Mais comment faire prendre telle innovation dans l’entreprise ? Comment faciliter de nouveaux comportements pérennes? Comment laisser des marges de manœuvre pour innover, réduire les systèmes organisationnels lourds et compliqués ?

Donner du sens pour éviter le rejet

Répondre à ces questions est fondamental car le risque de rejet de l’innovation est fort : innover vient remettre en cause l’existant. L’innovation vient questionner l’organisation, les types de management, les logiques de pouvoir, et révéler des manques de compétences. Certains cadres peuvent considérer que leur position ou la vision qu’ils ont de leur position au sein de l’entreprise est remise en cause. Remettre en jeu certains fonctionnements, cela peut signifier par exemple que le fait d’avoir les bons arguments est plus important que le fait d’être chef ! La complexité est d’autant plus forte que généralement ce n’est pas le n°1 qui croit avoir des choses à perdre, mais toute son équipe dirigeante et le management intermédiaire. Ils sont ainsi nombreux à être déstabilisés…

C’est pourquoi la recherche d’innovation vient tout de suite questionner l’intention et les valeurs de celui qui le prône ou l’initie. L’innovation est une valeur dite positive mais les mêmes qui disent « innover c’est bien » peuvent agir en sens contraire: « je n’ai pas demandé que mes responsabilités évoluent ». Pour réussir à innover le dirigeant doit construire une culture partagée et tenir une vision. Pour créer du mouvement, avoir une vision forte est déterminant. En effet innover cela génère du « bruit », on filtre, on tri, on jette, on garde,…

L’enjeu est alors de tenir le cap sur la durée, relancer, relayer, faire vivre. Cette vision et le sens qui lui est attaché permettent de garder le cap, de créer de l’envie. La nature du chemin devient alors moins importante. L’innovation entre alors dans une logique de fécondité : construire sur la durée et transformer les mentalités. Dans ce cadre il est important de repérer les signaux faibles, repérer les sponsors internes dont les motivations ne soient pas liées à une place dans la hiérarchie. Un délégué syndical qui soutient une démarche d’innovation, çà peut avoir du poids par exemple.

Plus de responsabilité encore pour les dirigeants

De plus, dans ce contexte de nouvelles technologies et de nouvelles connaissances en plein essor, le niveau de responsabilité des dirigeants devient flagrant car les innovations transforment effectivement notre façon de vivre. Pour les cadres dirigeants férus de nouveauté, la dimension éthique des innovations devient de plus en plus critique car elle est réelle et fortement valorisée par les nouvelles générations. L’innovation représente d’abord de véritables opportunités en termes éthiques. On connaît par exemple  le succès et l’impact majeur du développement du téléphone mobile en Afrique (accès au paiement par exemple). On voit surgir aujourd’hui des projets de développement démocratique avec des applicatifs améliorant l’inter action entre les citoyens et les responsables politiques dans une ville ou un pays.

Mais tout dirigeant doit aussi s’interroger sur les risques humains des innovations : exclusion des personnes, dégradation du lien social  à travers l’usage captatif des  écrans et des réseaux d’échange virtuels par exemple. Les récentes manifestations des VTC à l’égard d’Uber en sont à leur manière une illustration. Les risques environnementaux ou de santé des nouvelles technologies ne peuvent plus être ignorés eux aussi : exploitation des terres rares, consommation énergétique des data centers, impact des écrans sur le sommeil…

Pour les dirigeants, développer la « bonne » innovation va sans doute pousser plus encore à l’intelligence collective et à intégrer le long terme dans leurs réflexions stratégiques.

Pour aller plus loin